JULIETTE Viens, nuit ! Viens, Roméo ! Viens, mon jour dans la nuit. Car sur les ailes de la nuit, tu vas reposer Plus blanc que sur le dos du corbeau la neige, Viens, douce nuit, amoureuse au front noir, Donne-moi Roméo ; et, quand je serai morte, Prends-le, fais-le se rompre en petites étoiles, Lui qui rendra si beau le visage du ciel Que l'univers sera comme fou de la nuit Et n'adorera plus l'aveuglant soleil. (Acte III, scène II)
HAMLET Voici l'heure sinistre de la nuit, L'heure des tombes qui s'ouvrent, celle où l'enfer Souffle au-dehors sa peste sur le monde.
Maintenant je pourrais boire le sang chaud Et faire ce travail funeste que le jour Frissonnerait de voir. Mais, paix ! D'abord ma mère.
Oh, n'oublie pas, mon coeur, qui elle est. Que jamais Une âme de Néron ne hante ta vigueur!
Sois féroce mais non dénaturé.
Mes mots seuls la poignarderont ; c'est en cela Que mon âme et ma voix seront hypocrites ;
Mon âme! aussi cinglantes soient mes paroles, Ne consens pas à les marquer du sceau des actes!
(Acte III, scène II).
Édition bilingue
Macbeth : Ce qu'un homme ose, je l'ose ! Viens à moi / Sous l'apparence de l'ours russe le plus farouche, / Du rhinocéros le plus hérissé, du tigre / Le plus féroce de l'Hyrcanie. Prends toute forme / Sauf celle-ci, et mes nerfs assurés ne trembleront pas. / Ou encore : revis, et défie-moi / Au combat à l'épée jusque sur la lande déserte / Et si je reste ici à trembler de peur, tu pourras me dire / Une poule mouillée.
Va-t'en, va-t'en, / Horrible spectre, image sans substance ! (Acte III, scène IV)
Dans le théâtre shakespearien, les lettres déclenchent de sombres intrigues. Subtils concentrés de style, elles révèlent des amours téméraires, empêchés ou tragiques. Ce très riche opuscule rassemble les lettres les plus mémorables qui émaillent l'oeuvre du Barde et nous offrent une perspective inhabituelle sur ses personnages hors du temps.
Ce volume réunit l'ensemble de l'oeuvre lyrique de Shakespeare et met un point final à l'édition des oeuvres complètes de Shakespeare dans la Pléiade.
Vénus et Adonis (1593) et Le Viol de Lucrèce (1594) ont connu en leur temps un vif succès, notamment de scandale : si l'on ne voit parfois dans ces petites épopées mythologiques et érotiques que des exercices d'imitation sur des sujets tirés d'Ovide, leur charge subversive, bien réelle, n'échappa pas aux lecteurs contemporains. Les Sonnets (1609), au contraire, sont passés presque inaperçus lors de leur publication. Ils sont pourtant devenus l'un des fleurons de l'oeuvre de Shakespeare. Loin de n'être qu'un miroir où se lirait la vie bisexuelle de William S. à travers le triangle amoureux que le poète y dessine avec le « beau garçon » et la « noire maîtresse » auxquels il s'adresse, le recueil, ici retraduit par Jean-Michel Déprats, possède une force qui excède largement la question sexuelle. Figures de styles et effets sonores contribuent à d'infinis croisements entre les mots et la pensée (et la pensée dans les mots). Il n'y a pas d'interdits de langage pour Shakespeare : son invention est aimantée par une subversion, morale et esthétique, de tous les instants.
En France, les sonnets ne sont traduits qu'à partir de 1821, et ce n'est qu'en 1857 que François-Victor Hugo en donne une traduction intégrale. Traductions et réécritures se multiplient ensuite. L'anthologie qui clôt le volume donne à saisir les métamorphoses auxquelles s'est prêté, et continue de se prêter, ce monument de la poésie universelle.
LEAR Ne me fais pas devenir fou, je t'en prie, ma fille.
Je ne te gênerai plus, mon enfant ; adieu.
Plus de rencontre à craindre ; désormais, Nous ne nous verrons plus. Pourtant, tu es ma chair Et mon sang, et ma fille. Ah, bien plutôt le mal Qui habite ma chair, et que je suis forcé De reconnaître mien. Tu es un chancre, Un furoncle pesteux, un abcès plein de pus Dans mon sang qu'il corrompt. Mais, va, je ne veux pas Te faire de reproches. Vienne l'opprobre À l'heure qu'il voudra, je ne l'appellerai Ni sur ton front le trait du porteur de foudre, Je ne dirai de toi rien de condamnable Au divin Jupiter, le juge. Amende-toi.
Si tu le peux. Deviens meilleure s'il t'est loisible.
Acte II, scène IV.
Dans cette pièce composée vers 1594, Shakespeare s'empare du court règne (juin 1483-août 1485) du dernier roi de la dynastie des Plantagenêt. Richard III vient clore une lignée qui eut à subir - ou à faire jouer à son profit - cette «violence / Frénétique et contre-nature» que fut la guerre des Deux-Roses entre les York et les Lancastre, jetant «frère contre frère, / Sang contre sang, soi contre soi».Richard, duc de Gloucester, est né laid et boiteux. Il se veut roi d'Angleterre, même si plusieurs degrés dans l'ordre de succession le séparent de la couronne et s'il lui faut pour cela assassiner ou réduire à l'impuissance tous les prétendants au trône:«Je suis déterminé à être un scélérat.».Usant de la ruse ou de la force, multipliant les masques et les mises en scène, Richard, sculpte peu à peu son chef-d'oeuvre:lui-même, ce personnage tout-puissant, enfin vengé de sa difformité.
Dans la dernière pièce de Shakespeare, un souverain, Prospéro, et sa fille, échouent sur une île lointaine. Prospéro, qui est magicien, triomphe de tous les périls, notamment grâce à Ariel, un esprit; mais cette féerie dramatique pose les plus graves questions:«Cette apparence, cette jeunesse d'Ariel, cette vie qui semble si naturellement pour la terre, non pour le ciel, c'est évidemment une des questions latentes de La Tempête; et une des grandes raisons de l'étonnement de Shakespeare devant la magie comme y crut longtemps Prospéro.»Yves Bonnefoy.
On ne résume guère cette pièce, qui est d'une extrême complication, digne des pastorales baroques et maniéristes. Une cour entière est réfugiée en forêt autour de son roi exilé, Frédéric.
C'est alors la peinture des intrigues amoureuses avec masques et changements de sexe, mélancoliques et passionnés, sages et bouffons, jusqu'au rétablissement final de chacun dans ses droits.
Le duc de Vienne reconnaît qu'il n'a jamais veillé à l'application d'une loi punissant de mort l'adultère ou la fornication. Prétextant une mission secrète lui imposant une longue absence (en réalité, il se déguise en moine sous un autre nom), le duc confie la tâche de restaurer l'ordre moral au juge Angelo, connu pour son intégrité et sa rigueur. Un jeune seigneur, Claudio, en est la première victime, ayant engrossé avant le mariage Julietta, la femme qu'il aime. La soeur de Claudio, Isabella, tente d'intercéder en sa faveur. Mais le juge Angelo, en proie aux contradictions de la chair et de l'esprit, s'éprend d'elle. Il lui propose la tête de son frère contre sa virginité. C'est alors que le duc, sous ses habits de moine, met au point un stratagème qui emmènera la pièce vers la comédie et l'action. Une mesure de tragédie, donc, pour une mesure de comédie.
Représentée le 1er novembre 1611 devant la cour du roi Jacques Ier, La Tempête est une des dernières pièces de Shakespeare. Dans cette histoire d'amour et de pardon, les choses ne sont jamais ce qu'elles semblent être. Cette île est aussi mystérieuse que les personnages qui l'habitent : le magicien Prospéro, sa fille Miranda, l'esclave Caliban, ou encore Ariel, l'esprit des airs. Le bonheur de cette traduction d'Éric Sarner est d'en avoir retranscrit la richesse poétique, l'enchantement et l'humour. C'est le langage haletant ici qui l'emporte. Sans cesse le rythme déborde le sens, faisant de La Tempête une bourrasque heureuse et imprévisible.
Noble Orsino, Vous me donnez des noms que je refuse, Je n'ai rien d'un voleur ou d'un pirate Même si, je l'avoue, je l'ai prouvé, Je fus votre ennemi. Si je suis là, C'est attiré par un pouvoir magique :
Cet ingrat, ce garçon à vos côtés, De la bouche écumante des tempêtes Je l'ai sauvé ; il n'avait plus d'espoir ;
En lui rendant la vie, c'est mon amour Que je lui ai offert, sans restriction, En me vouant à lui.
Othello «Doucement. Que je vous dise encore un mot ou deux Avant votre départ. J'ai rendu à l'État Quelques services, cela se sait : n'en parlons plus. Et quand vous rendrez compte dans vos lettres De ces événements malheureux, s'il vous plaît Dépeignez-moi tel que je suis : sans atténuer Quoi que ce soit, ni l'aggraver par malveillance. De qui, en ces instants, devrez-vous parler ? D'un qui n'aima que trop, bien que sans sagesse, D'un être peu enclin à la jalousie, qui, pourtant, Manoeuvré, perdit tout de son jugement, Jetant, comme le pauvre Indien, à tout venant, la perle Qui valait plus que toute sa tribu. D'un homme Dont les yeux accablés par la souffrance, Bien que peu habitués à verser des larmes, Le font avec la même force, précipitée, Que l'arbre d'Arabie répand la myrrhe Qui, elle, est secourable. Mettez cela par écrit.» (Acte V, scène 2.)
«Brutus Préférez-vous César vivant, et mourir esclaves, ou César mort, et tous vivre libres ? César m'aimait, je le pleure. Il connut le succès, je m'en réjouis. Il fut vaillant, je l'honore. Mais il fut ambitieux et je l'ai tué. Pour son amitié, des larmes. Pour sa fortune, un souvenir joyeux. Pour sa valeur, du respect. Et pour son ambition, la mort. Qui parmi vous est assez vil pour accepter d'être esclave ? Si un tel homme existe, qu'il parle. Car lui, je l'ai offensé. Qui est assez grossier pour ne pas désirer d'être un Romain ? Si un tel homme existe, qu'il parle. Car lui, je l'ai offensé. Qui est abject au point de n'aimer pas son pays ? Si un tel homme existe, qu'il parle. Car lui, je l'ai offensé.» (Acte III, scène 2)
Entre une cérémonie de noces brutalement interrompue et un mariage unissant deux êtres connus pour se haïr, Beaucoup de bruit pour rien nous rappelle que l'amour ne suit jamais un cours régulier. Étincelante et jubilatoire, cette comédie romantique n'en repose pas moins sur un constat amer:tout n'est que vanité... et aimer, c'est d'abord s'éprendre de soi-même, pour le meilleur et pour le pire.
Cette édition propose des traductions qui, presque toutes, ont déjà subi (victorieusement) l'épreuve de la scène. Soucieuses de la théâtralité du texte et de son oralité, elles respectent l'alternance de vers (rimés ou non) et de prose, et s'efforcent de rendre justice au pouvoir d'invention poétique et dramaturgique de Shakespeare. Elles sont dues, pour la plupart, au maître d'oeuvre de l'édition, Jean-Michel Déprats, qui les soumet ici à une nouvelle épreuve : celle de la confrontation avec l'original anglais. Car cette édition est bilingue. Autre vérité bonne à dire : depuis le XVII? siècle, le texte des oeuvres de Shakespeare n'a cessé d'être «amélioré» par ses éditeurs successifs. Rien d'étonnant à cela : aucune édition ancienne n'est susceptible de servir de référence absolue. On croit d'ailleurs savoir que Shakespeare n'est pas intervenu personnellement dans la publication de ses pièces. Il convenait donc de tenir le plus grand compte de la mouvance du texte et, dans le même temps, de se garder d'une sorte d'«impressionnisme éditorial» qui aurait consisté à s'autoriser des manipulations de toute nature dans l'espoir toujours déçu de saisir l'insaisissable, de retrouver ce qui est perdu : «le véritable Shakespeare». Shakespeare reste un mystère...
Depuis de longues années, Yves Bonnefoy s'est persuadé que quelque chose de décisif a été expérimenté par Shakespeare dans l'assez brève période où l'auteur de Hamlet a écrit ses Sonnets. « Il a fait de ceux-ci, précise Yves Bonnefoy, une réflexion sur la poésie, de laquelle a résulté qu'il a choisi de cesser d'écrire des poèmes ; lesquels l'avaient rendu aussi notoire que son premier théâtre, pour se consacrer entièrement à la scène : choix qui, en profondeur, était en fait celui de la poésie en un sens plus moderne que celui que son époque plaçait dans les poèmes et leur prosodie régulière. C'est un choix qui est d'ailleurs reflété, médité et même explicité dans les pièces de très exactement ou juste après le moment où furent écrits les sonnets, notamment Roméo et As you like it. Je crois qu'il y a là une approche susceptible d'éclairer tout le théâtre de Shakespeare. »
On ne traduit bien que son proche, paraît-il.
Traduisant shakespeare, je pars à la rencontre de quelqu'un qui me ressemble assez pour me rester accessible. à l'évidence, ce que nous avons de voisin c'est notre expérience du monde en tant qu'homme, du vers et de la forme en tant que poète. entretenir ce voisinage n'est pas une communauté certes, mais peut-être du bois pour en faire. b.d.
Shakespeare Hamlet / Othello / Macbeth :
« La vie est une histoire racontée par un idiot, pleine de fureur et de bruit, et qui ne signifie rien.
» Macbeth, acte V, scène v.
Hamlet, Othello, Macbeth, une même histoire de chair, d'amour et de mort. Des mains sont rougies d'un sang innocent qu'aucun parfum d'Arabie ne lavera. Les spectres et les sorcières mènent la danse. Ils incitent Hamlet à tuer son oncle, meurtrier de son père et amant de sa mère ; Othello son épouse qu'il croit infidèle ; Macbeth son roi, pour prendre la couronne. Le cauchemar de chacun devient réalité. « Il y a quelque chose de pourri dans le royaume du Danemark », en Ecosse et à Venise. Les trois héros ont provoqué le destin. Il les écrasera, faisant périr aussi Ophélie et Desdémone, l'amour et la pureté. Le génie de Shakespeare est de dire toute l'incertitude de la condition humaine, ses rêves, sa gloire, sa petitesse.
Edition présentée et commentée par Yves Florenne.
«Shakespeare, c'est la fertilité, la force, l'exubérance, la mamelle gonflée, la coupe écumante, la cuve à plein bord, la sève par excès, la lave en torrent, les germes en tourbillons, la vaste pluie de vie, tout par milliers, tout par millions, nulle réticence, nulle ligature, nulle économie, la prodigalité insensée et tranquille du créateur. À ceux qui tâtent le fond de leur poche, l'inépuisable semble en démence. A-t-il bientôt fini? jamais. Shakespeare est le semeur d'éblouissements.» Victor Hugo.
Cette édition propose des traductions qui, presque toutes, ont déjà subi (victorieusement) l'épreuve de la scène. Soucieuses de la théâtralité du texte et de son oralité, elles respectent l'alternance de vers (rimés ou non) et de prose, et s'efforcent de rendre justice au pouvoir d'invention poétique et dramaturgique de Shakespeare. Elles sont dues, pour la plupart, au maître d'oeuvre de l'édition, Jean-Michel Déprats, qui les soumet ici à une nouvelle épreuve : celle de la confrontation avec l'original anglais.
Car cette édition est bilingue. Autre vérité bonne à dire : depuis le XVIIe siècle, le texte des oeuvres de Shakespeare n'a cessé d'être «amélioré» par ses éditeurs successifs. Rien d'étonnant à cela : aucune édition ancienne n'est susceptible de servir de référence absolue. On croit d'ailleurs savoir que Shakespeare n'est pas intervenu personnellement dans la publication de ses pièces. Il convenait donc de tenir le plus grand compte de la mouvance du texte et, dans le même temps, de se garder d'une sorte d'«impressionnisme éditorial» qui aurait consisté à s'autoriser des manipulations de toute nature dans l'espoir toujours déçu de saisir l'insaisissable, de retrouver ce qui est perdu : «le véritable Shakespeare». Shakespeare reste un mystère...
PerditaVotre jeune saison... et la vôtre et la vôtre,Vous qui portez toujours, sur vos branches pures,Votre virginité en fleur... O Proserpine,Que n'ai-je encor les fleurs qu'en ton effroi,Du char de Pluton tu laissas tomber ! Le narcisseQui point avant que l'hirondelle ne se risqueEt qui émeut les vents de Mars de sa beauté,Et la violette, sombre mais plus suaveQue les paupières de Junon ou que l'haleineDe Cythérée. Les pâles primevères Qui meurent non mariées, sans avoir vuDans tout son feu Phébus.(Acte IV, scène 4)
Amoureux de Portia, belle et riche héritière, Bassanio, gentilhomme désargenté, s'efforce d'obtenir sa main. Pour l'aider, son ami Antonio marchand chrétien, emprunte une somme de 3000 ducats à l'usurier juif Shylock qui lui demande, en cas de non remboursement de la dette, une livre de sa chair. Le jour de l'échéance, la dette n'étant pas réglée, Shylock exige l'exécution de la clause. Mais l'habileté de Portia, déguisée en « docteur de droit civil», confond l'usurier retors et sauve Antonio Shylock, ridiculisé, spolié et trahi par sa fille qui a rejoint le camp des Chrétiens, s'en va seul tandis que les jeunes gens, loin des tracas du commerce et du fracas des procès, s'abandonnent à la félicité, aux sons - joyeux et graves à la fois - d'une musique qui évoque non seulement l'harmonie terrestre retrouvée mais aussi l'harmonie céleste dont elle est l'écho.